Qui est Émilie Tissot, cette ancienne marcheuse de haut-niveau qui cartonne en course à pied ?

De 2012 à 2015, Émilie Tissot domine très largement la marche athlétique française, avant de subitement disparaître des résultats, à l’aube des Jeux olympiques de Rio, en 2016. Depuis quelques années, son nom réapparaît progressivement en haut des classements… dans d’autres disciplines cette fois-ci : la course à pied et le trail running. Elle a notamment décroché la médaille de bronze lors des championnats de France de marathon, à Sainte-Maxime, le 24 mars 2024. Rencontre avec une amoureuse de la performance et une athlète hors pair dont nous n’avons pas fini d’entendre parler !

Émilie Tissot court depuis qu’elle a 12 ans, et comme bon nombre d’entre nous, c’est via les cross du collège qu’elle effectue ses premières foulées. Son professeur de sport, Michel Schicklin, détecte son potentiel, lui propose de pratiquer en club (Alsace Nord Athlétisme) et de se mettre au demi-fond. C’est à l’occasion d’un stage de club annuel en Italie qu’Émilie s’essaie à la marche athlétique pour la première fois. “J’étais amie avec les marcheur(se)s. Un jour, j’ai marché avec eux(elles) et mon entraîneur (Michel Schicklin, ndlr) a trouvé que je marchais plutôt bien. Il m’a dit “chiche, tu fais les championnats d’Alsace dans deux semaines ?”. Résultat : je gagne et je fais un super chrono pour une cadette (30 minutes et 11 secondes sur 5 000 mètres, ndlr). Je me classe 7e Française au bilan. On m’a alors dit de persévérer, car j’étais vraisemblablement plus douée pour la marche athlétique que pour la course à pied”. L’athlète, qui n’était pourtant initialement pas attirée par la discipline, va alors s’y consacrer corps et âme. Et c’est peu dire.

Après son essai concluant aux championnats d’Alsace, en 2010, Émilie Tissot s’expatrie quelques mois en Australie pour suivre des études internationales. À son retour en Alsace, elle commence à s’entraîner réellement pour progresser en marche athlétique ; nous sommes alors en septembre 2010. En avril 2012, elle termine deuxième des Critériums Nationaux de Printemps Jeunes de Marche, et est sacrée championne de France du 10 000 mètres marche (48 minutes et 53 secondes, record de France à l’époque), en juillet 2012. “Je n’ai plus jamais été battue en championnats de France jusqu’à ce que j’arrête la marche. J’avais huit records de France”. Émilie cumule ainsi huit titres de championne de France en seulement quatre ans de pratique ! 🤩

Mais alors, que s’est-il passé pour qu’Émilie Tissot, meilleure française dans la discipline et logique prétendante à une sélection en équipe de France pour les Jeux olympiques de Rio, mette subitement fin à sa carrière de marcheuse ? Tu t’en doutes, ses performances stratosphériques ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Parallèlement à sa carrière d’athlète de haut niveau, Émilie suit des études de kinésithérapie en Allemagne. “Je voulais me qualifier à Rio tout en parvenant à être major de promotion, je suis perfectionniste”. Son ambition n’est, à ce moment-là, que la suite logique du quotidien millimétré qu’elle a mis en place lors de ses années lycée pour parvenir à tout concilier. “À l’époque, on se levait à 4 heures 45 avec mon père. De 5 à 7 heures, on allait s’entraîner, il me suivait à vélo. Puis je prenais ma douche pendant 10 minutes. Pendant ce temps-là, ma mère me préparait un petit-déjeuner à emporter et un thermos de thé que je buvais sur la route pour aller en cours”. Mais en Allemagne, tout est différent. Elle doit s’entraîner seule et le niveau académique est très relevé. “J’étais totalement épuisée, je dormais très mal la nuit. Quand je suis stressée, j’ai du mal à manger, j’avais donc perdu un peu de poids. Je me souviens très bien du moment où tout a basculé, c’était le 8 mars 2016, la veille de partir en stage au Portugal avec l’équipe de France. Je me suis levée dans la nuit et j’ai eu très mal au pied. J’ai compris que quelque chose n’allait pas et je suis allée faire des examens à l'hôpital”. Le verdict est sans appel : double fracture de fatigue. “Ça a été la descente aux enfers d’un point de vue moral. Cela faisait des années que je courais après la performance : je n’avais pas trop profité de mes années étudiantes, je faisais très attention à ce que je mangeais, je veillais à dormir du mieux possible… Certes, les Jeux de Rio étaient foutus pour moi, mais finalement, je me rends compte que ça a été un soulagement, car j’ai pu recommencer à vivre normalement”. 

Quand on lui demande si elle souhaite remettre le pied à l’étrier, Émilie Tissot est catégorique. “Je n’ai plus envie. Je suis tombée de très haut, j’avais beaucoup d’espoirs de carrière, ce fut un très gros investissement. De plus, j’avais abordé le haut niveau de façon pas très équilibrée : j’étais une gamine très stressée et catapultée très vite. J’ai tout raflé pendant des années, et ce, dès ma première année, personne ne me connaissait. Je n’avais pas de suivi, je n’allais pas voir de kiné, je faisais des études qui me demandaient beaucoup d’effort. J’étais très exigeante envers moi-même, je me mettais énormément de pression pour l’école. La chute a été très compliquée, j’avais besoin de tourner la page”. Pour tourner la page, Émilie déménage dans le sud de la France et effectue des remplacements en kinésithérapie. Elle (re)découvre les joies de la fête, des week-ends entre ami(e)s, et surtout, elle garde le sport près d’elle (escalade, natation, randonnée, et cætera), parce que c’est un besoin viscéral… et peut-être aussi un peu pour se prouver qu’elle peut l’aborder autrement qu’à travers le haut niveau, juste pour le plaisir de bouger, sans médaille à la clé.

Après une pause de cinq ans, loin de tout “entraînement sérieux”, Émilie reprend la compétition. “Mon hygiène de vie n’était pas top… je me suis dit que ma crise d’adolescence à retardement avait assez duré. Je me suis posé la question de ce qui pourrait me motiver à reprendre le sport… Du coup, j’ai fait le marathon de New-York, en 2019 !”. C’est aussi simple que cela 🤷🏼‍♀️. Après quelques footings en guise de préparation, Émilie boucle sa course en 3 heures et 13 minutes, et surtout : elle reprend plaisir à courir… Mais son âme de compétitrice n’est jamais bien loin. “Je suis très axée performance et progression : je veux courir pour gagner et/ou faire de mon mieux”.

Cette année (en 2024), Émilie est même partie s’entraîner une semaine au Kenya, dans la structure d’entraînement RUN’IX. “J’ai soigné Julian Ranc, le fondateur de RUN’IX, il y a quelque temps. Il ne vit pas loin de chez moi et m’a beaucoup parlé de son projet. Pendant ma semaine de stage, j’ai couru 140 kilomètres. Je voulais faire une grosse prépa, voir où j’en étais. Je suis kiné libérale et je travaille beaucoup (50 heures par semaine, ndlr). Je m’entraîne entre 6 heures 30 et 8 heures du matin (toujours à jeun, ndlr)”.

Dans le cabinet qu’elle a fondé à Molsheim, Émilie dispense des consultations en micronutrition et en kinésithérapie, de 9 heures à 21 heures. “Je suis passionnée par mon métier, je ne traite que des coureur(se)s : c’est le kiffe quand tu es toi-même passionnée de course à pied. J’ai de super collègues, ça se passe hyper bien. Je donne aussi des cours collectifs de préparation physique et de Pilates”. Oui, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Émilie mène une vie bien remplie… la preuve, elle nous accorde cette interview lors de sa pause-déjeuner ! Et si elle reconnaît avoir besoin de très peu dormir pour être en forme (5 heures seulement), elle sait aussi que la récupération est un facteur limitant chez elle. “Heureusement, je me suis développé un énorme mental en conjuguant le très haut niveau et les études de kiné. Ça me sert tous les jours. C’était tellement dur… Maintenant, je suis bien busy, mais tout roule : mon rythme me semble facile comparé à celui que j’avais lorsque que j’étais étudiante !”. Tout roule si bien qu’elle parvient en moyenne à courir 85 kilomètres par semaine et à effectuer une ou deux séances de musculation hebdomadaires.

Après son premier marathon en 2019, Émilie demande à Sébastien Cornette, rencontré lors d’une formation dispensée par La Clinique Du Coureur, de l’entraîner (de novembre 2021 à novembre 2022). À partir de 2021, l’ex-marcheuse fait rapidement tomber la barrière des 3 heures sur la distance reine et ne cesse d’abaisser son chrono de référence. Depuis, elle a changé d’entraîneur, c’est son collègue et ami, Corentin Merkling, qui se charge de lui concocter ses entraînements… qui s’avèrent efficaces ! Le 24 mars 2024, elle décroche même une troisième place aux championnats de France de marathon, à Sainte-Maxime, en 2 heures 49 minutes et 9 secondes (sur un parcours comptabilisant 330 mètres de dénivelé positif !), derrière Floriane Hot et Augustine Emeraux-Lombard. “Dix ans après mon dernier titre en marche… C’est beaucoup d’émotion de refaire un podium national dans une autre discipline. Bon, après, on ne va pas se mentir : les meilleures françaises n’étaient pas là, j’ai profité de l’absence de certaines. Mais la boucle est bouclée ! Ma reconversion est réussie”.

Émilie Tissot s’essaie aussi au trail, et devine quoi : elle carbure également dans cette discipline ! “J’ai découvert le trail par hasard, on m’a dit “allez, viens essayer, tu vas voir, c’est cool”, j’ai remporté pas mal de trails locaux”. Parmi les courses du coin qu’elle rafle haut la main, il y a le Trail Alsace Grand Est by UTMB (Trail des Pèlerins, 33,3 kilomètres et 1 289 mètres de dénivelé positif). Une victoire qui l’a révélée à la planète trail, et une reconnaissance amplement méritée, surtout lorsqu’on sait qu’elle boucle l’épreuve en 2 heures 58 minutes et 12 secondes, et s’octroie au passage une 10e place au scratch sur 1 196 finishers. Après cette victoire, la néo-traileuse — soutenue depuis des années par la boutique locale Running Conseil Strasbourg — est approchée par des marques. “Finalement, tout ce qu’on me dit, maintenant, c’est que j’ai un super niveau régional, que je ne suis pas mauvaise en national, mais que je ne suis pas la meilleure, et surtout, qu’il y a plein de jeunes qui arrivent”. Un discours qui ne plaît pas à Émilie (qui va avoir 32 ans en 2025). “Ça me pique qu’on ne me laisse pas ma chance. Je sais qu’il y a de la concurrence, mais j’ai une bonne marge de progression, mes aptitudes en trail ne sont pas mauvaises, j’ai de la vitesse. J’aimerais retrouver un niveau semi-pro et en vivre à mi-temps ! J’aime m’entraîner, j’aime borner, j’aime en chier !”. Le message est passé. D’autant plus que la kiné a parfaitement conscience que son amour pour son métier la retiendra toujours auprès de ses patient(e)s. “Je ne pourrais jamais faire que du sport, j’ai besoin d’une stimulation mentale. J’ai créé un cabinet qui répond à toutes mes attentes, je ne peux pas le lâcher. Par contre, je pourrais travailler deux journées par semaine et m’entraîner et bien récupérer le reste du temps. Actuellement, je peux m’entraîner, mais le problème, c’est la récupération : je cours partout toute la journée”. En attendant que son talent soit considéré à sa juste valeur, Émilie aura l’occasion de réitérer quelques exploits. Après sa victoire au Trail Alsace Grand Est by UTMB, elle a en effet été invitée aux 45 kilomètres de l’Ecotrail Paris, sur l’édition 2025 du Trail Alsace Grand Est by UTMB (Trail des Pèlerins), mais aussi sur le Semi-Marathon du Mont-Ventoux. “J’aime énormément la route, mais j’ai aussi pris beaucoup de plaisir en trail, je pense qu’en 2025, je vais refaire comme cette année : une saison hybride”.

Compte tenu de l’étendue de son palmarès, “bref” est un adjectif peu approprié pour décrire la carrière — loin d’être terminée — d’Émilie Tissot. Mais enfin, essayons-nous tout de même à l’exercice ! 

Athlète exemplaire et compétitrice hors pair, Émilie est un modèle de persévérance, de discipline et de résilience. Elle incarne l’amour de la performance et du dépassement de soi, et est bien la preuve que le sport — et en particulier la course à pied — ne nous quitte jamais vraiment une fois qu’on y a goûté. Alors si tu connais une baisse de motivation, rappelle-toi que c’est tout à fait normal… et n’oublie pas de jeter un œil à cet article pour (re)faire le plein d’envie et aiguiser tes crocs ! 🦈